Jacques Moigas, avocat feudiste, contributeur zélé des Affiches du Poitou

Chapelle Notre-Dame du Pont à Mortagne-sur-Sèvre (Vendée)

« Mademoiselle Moigas » bienfaitrice de «  la chapelle du Pont à Mortagne » est citée dans des dizaines d’articles relatifs à l’histoire de Mortagne-sur-Sèvre. C’est en demandant l’obole, installée au bout du pont de cette commune, qu’elle serait parvenu à rassembler une somme suffisante pour réédifier la petite chapelle en question, détruite lors des guerres de Vendée. Mais la vie de cette « personne dévote » ne semble avoir guère plus intéressé ses contemporains pour qu’on puisse au moins lui donner un prénom, un père, une mère et peut-être, qui sait, des frères et des soeurs. Il est rare en tout cas dans les écrits que son identité soit précisée. Cette « demoiselle » s’apelle Marguerite Jaunet (1740-1818), veuve Moigas.

Les Moigas à Mortagne-sur-Sèvre sont rares. Nous n’en connaissons qu’un : Jacques. En 1775, une demoiselle de la paroisse, Jeanne Jaunet, fille d’un marchand tanneur, épouse cet homme presque quadragénaire originaire de Villevêque : Jacques Poidras. Né le 3 février 1736, il a déjà 39 ans quand il convole. Outre les membres de la famille Jaunet, on trouve comme témoins au mariage célébré à Mortagne, trois demoiselles Boutillier de La Chèze ainsi que Michel Gelusseau, beau-frère (du côté Jaunet) des époux, tanneur de profession, etc.

Le marié est le fils d’un marchand farinier. Il est à l’évidence instruit et maîtrise parfaitement la langue française. Il développe aussi un réel talent pour déchiffrer les anciens documents, écrits en langue désormais quasi inconnue de ses coreligionnaires. C’est sans doute grâce à ses études et à ses talents de traducteur de vieux parchemins que Jacques Moigas est devenu avocat feudiste, autrement dit spécialisé dans le droit féodal ; les vieux papiers de famille notamment.
Lettré, le fils de Jacques et de Jeanne Daburon montre très vite un intérêt pour la diffusion au plus grand nombre des connaissances, des idées, des savoirs. Il adresse donc sans attendre ses articles à l’éditeur et journaliste de La Chapelle-Saint-Laurent, Jouyneau des Loges, un « homme assommant avec sa morale et son patriotisme » dit-on de cet éditeur.
Installé à Poitiers, Jouyneau des Loges a créé les Affiches du Poitou en 1773. Ses quatre pages hebdomadaires rencontrent un franc succès. Son journal contribue à diffuser les « idées nouvelles » dans tout le Poitou, le haut comme le bas. « Vous allez nous rendre trop sages et trop instruits » lui écrit ainsi une lectrice ravie de lire ce périodique.

Plusieurs correspondants alimentent la gazette en informations de toutes sortes qui vont de l’histoire du Poitou aux textes législatifs officiels en passant par les point de vue, des faits divers, les mariages, les décès, les ventes immobilières ou d’offices, les prix du blé, la religion, etc. C’est un véritable hebdomadaire d’informations régionales. Jouyneau des Loges montre un grand éclectisme et une large ouverture d’esprit. Mais incontestablement, il se place dans le mouvement des Lumières. Ses contributeurs aussi pour la plupart.

Jacques Moigas en fait partie et l’alimente donc très régulièrement en contenu. Sans doute participe-t-il d’abord à la publication des arrêts divers du conseil supérieur de Poitiers dont il aurait été membre. Ensuite, il va durant des semaines, des mois, des années proposer une cinquantaine d’articles aux Affiches du Poitou. Une annonce de Moigas est d’abord publiée dans le n°10 du 9 mars 1775. Mais le premier article à proprement parler est diffusé dans le n°23 des Affiches du Poitou du 8 juin suivant. Lorsque Moigas rédige son texte le 26 mai 1775, il n’est pas encore marié mais il est déjà installé à Mortagne-sur-Sèvre au moins depuis le début de l’année comme avocat et feudiste.
A l’image de ceux qui suivront, le premier article est consacré à la découvertes d’archives anciennes. Celles-ci sont cette fois relatives aux Herbiers (ou Moigas déclare résider de temps en temps) et au seigneur de La Petitière. Dans les derniers numéros du journal, qui cesse de paraître en 1781, les chroniques de Moigas font régulièrement l’ouverture du journal, ce qui montre l’importance que son rédacteur en chef accorde à ces textes. En cherchant à « éclaircir l’histoire du Poitou », Moigas remet au jour des coutumes oubliées, mais remue aussi incontestablement de vieille affaires. « Les moindres faits sont souvent de conséquence, en ce qu’ils peuvent servir de preuves aux faits plus intéressants, parce qu’ils fixent des circonstances ou des conjectures » écrit-il dans la lettre n°26 du 31 juillet 1781.
Dans sa lettre suivante, l’archiviste évoque les jésuites « établis à Poitiers au dépens de tous les autres Ordres de la Province » avance-t-il. Pour asseoir cette audacieuse affirmation emprunte d’un réel parti pris, Moigas ne s’appuie que sur un simple échange épistolaire. C’est un peu léger comme preuve irréfutable.
Il se montre aussi farouchement opposé aux fêtes traditionnelles héritées de la féodalité telle que la Bachelette (ou Bachellerie) que soutient à l’inverse le procureur fiscal de Châtillon-sur-Sèvre, Charles-Etienne Baudry.
Moigas exècre les temps féodaux. Ainsi à propos de la tradition de la maillée de pain, il indique que « Le plus singulier de tous (les péages) était le pulvérage, de pulvis, péage que quelques seigneurs lèvent encore dans quelques cantons sur les moutons qui passent dans leurs fiefs, à cause de la poussière qu’il y font en passant. Au surplus, il ne faut pas s’étonner de ces restes de barbarie des temps féodaux. »

On doit aussi à Moigas une généalogie assez complète des Puy du Fou. Il est envisageable que Filleau dont le père était au Conseil supérieur de Poitiers, profita d’une partie des travaux de Moigas. Dans l’édition du 15 mars 1781, l’avocat feudiste souligne le bienfait que représentent les Affiches du Poitou pour la diffusion au grand public des généalogies des familles nobles. Et de préciser sa pensée : « Les publier, c’est éclairer l’Histoire, c’est transmettre à la postérité des noms, des qualités, des faits et des alliances, qui, sans cela, seraient ensevelis dans le plus profond oubli ; c’est souvent et à coup sûr, rendre un service essentiel aux familles qui ignorent la plupart de ces circonstances, et pour qui cette ignorance est fâcheuse pour leurs intérêts ».

Moigas ne recule devant aucun sujet. Il s’aventure aussi à donner des conseils médicaux. Il propose un remède contre la rage communément utilisé dans l’état du Connecticut aux Etats-Unis (1781) dit-il.
L’homme de loi et de lettres ne se borne d’ailleurs pas à cet organe de presse que sont les Affiches du Poitou, il propose aussi ses textes à la Gazette des Tribunaux, aux Affiches d’Angers… Il est prolifique et partage largement le fruit de ses découvertes dans les archives. On peut lui reprocher d’être un brin approximatif lorsqu’il aborde l’histoire, voire carrément à côté de la plaque au point d’être parfois démenti par quelque contradicteur. Peu lui importe, il ratisse les châteaux du Poitou pour explorer leurs chartriers et en extraire les informations généalogiques essentielles. De 1777 à 1782, c’est cet avocat au conseil supérieur de Poitiers qui classe avec soin le chartrier Jousbert du Landreau à la demande des propriétaires du château.

Ouvert à ce point aux idées nouvelles, c’est sans surprise qu’on le retrouve bientôt membre du directoire de Vendée. Il devient vice-président du district de Montaigu et s’affaire au travail.
Trop sans doute. Assez en tout cas pour s’attirer l’inimitié des habitants de la contrée. En mars 1793, lors du soulèvement général de la Vendée, il fait partie des premières victimes qui tombent sous le coup des contre-révolutionnaires. Il est assassiné.

« Devenu membre du district et d’un républicanisme fanatique, il fut tué dans le château (de Mortagne ?) et tiré à travers une croisée ; il resta longtemps sans secours et mourut bien misérablement au milieu d’affreuses angoisses » rapporte Boutillier de Saint-André dans son récit des événements.

Un an plus tard, sa veuve, Jeanne Jaunet, obtient de la Convention nationale, par décret du 5 brumaire an II (26 octobre 1794), un secours de 600 livres. Nous n’avons pas la certitude qu’ils avaient eu des enfants.

Dans la mémoire collective, que reste-t-il de cet homme ? Quasiment rien dans les ouvrages consacrés aux guerres de Vendée. Boutillier de Saint-André et Chassin, auteur républicain, sont les plus diserts à son sujet. Mais ils se bornent à dire qu’il a été assassiné par les Vendéens. Deniau qui n’a rien à envier à Moigas en matière d’approximation, le qualifie d’ « ancien religieux feudiste et devenu fougueux révolutionnaire ».

Annexes

« Une personne dévote, Mlle Moigas entreprit aussitôt la construction d’une nouvelle chapelle. Pour financer son oeuvre, elle quêtait tout simplement les passants. Les chroniques paroissiales précisent : Une demoiselle Moigas, éprise d’affection pour le petit sanctuaire, entreprit cette reconstruction. S’instituant péagère, elle s’installait à l’entrée du pont et sollicitait les passants, surtout les riches commerçants et marchands de bestiaux qui revenaient de la foire de Cholet. Détail consigné dans les papiers de la famille Gaultier – Duperray, elle paya 126 f. au sieur Chiron, pour les travaux de construction. Grâce aux fonds récoltés, elle fit tailler le coteau de Fleuriais puis édifier la chapelle actuelle. Le terrain fut donné par la famille Grimaud. La famille Boutillier des Hommelles offrit la charpente et la couverture. L’abbé Micheau, nommé curé de Mortagne en 1825, la décora. »

Xavier MAUDET © 2020